La maladie d’Alzheimer touche actuellement 850 000 personnes en France et dans les DOM TOM, soit l’équivalent de la population de Lyon et Toulouse réunies. Si l’on tient compte des aidants, on considère généralement que cette maladie concerne 3 millions de personnes, soit la population de Paris intra-muros et celle de Marseille réunies.
A l’heure actuelle, malgré toutes les recherches, il s’agit d’une pathologie dont on ne guérit pas. Elle touche principalement les personnes âgées, ce qui n’est pas le cas de la maladie de Parkinson, par exemple.
C’est aussi une maladie qui va toucher un nombre encore plus important de personnes, si aucune découverte médicamenteuse n’est faite. France Alzheimer estime à 1 275 000 personnes atteintes d’Alzheimer en 2020 et 2 150 000 personnes en 2040. En d’autres termes, 1 Français sur 4 de plus de 65 ans pourrait être touché par la maladie d’Alzheimer en 2020.
Face à cette situation, les initiatives et recherches se multiplient pour agir sur la qualité de vie des personnes malades et de leurs aidants. C’est ainsi que se sont développées des thérapies non médicamenteuses, complémentaires des approches médicamenteuses.
Comment définir les « thérapies non médicamenteuses » ?
Selon Gérard Ribes, psychiatre et membre du Conseil scientifique en sciences humaines de France Alzheimer, interviewé sur le site de France Alzheimer, « il est plus pertinent de préférer le terme de « thérapies relationnelles » à celui de « non médicamenteuses ». Employer le terme de thérapies « non médicamenteuses » sous-entend une notion hiérarchique qui n’a pas lieu d’être. Il faut placer « les approches relationnelles » et celles « médicamenteuses » dans une relation de complémentarité. Il en est de même quand on recense les thérapies relationnelles. Dire que l’une est plus efficace que l’autre est un non-sens… Certaines sont plus adaptées que d’autres à un stade d’évolution de la maladie et à une personnalité et vice versa… »
Les thérapies relationnelles ont toutes un but commun : considérer la personne malade comme un être humain, lui permettre d’exprimer pleinement sa personnalité et ses désirs et favoriser son bien-être.
Favoriser une attitude thérapeutique et promouvoir les activités thérapeutiques
L’attitude thérapeutique est un état d’esprit selon lequel même au travers des actes les plus bénins de la vie quotidienne comme l’alimentation ou la toilette, on peut maintenir un lien relationnel avec la personne malade via le toucher ou les paroles.
L’activité thérapeutique (l’art thérapie ou la musicothérapie par exemple) est différente car elle s’appuie sur une participation active et volontaire de la personne malade à des activités avec des objectifs précis tels que le plaisir, redonner l’envie de parler, stimuler les facultés cognitives, susciter des émotions ou faire travailler la mémoire.
L’exemple de l’EMS Val Fleuri à Genève
Le Val Fleuri est un Établissement Médico-Social (EMS) situé à Genève, un lieu de vie au service de 250 personnes en situation de dépendance pour raison d’âge et de santé. Tout y est mis en œuvre pour « favoriser leur bien-être, leur autonomie et leur réalisation, tout en respectant leurs droits, leurs choix et leurs croyances. »
L’EMS et sa Directrice des soins, Marie-Christine Bereziat, ont fait le choix d’utiliser très largement les activités thérapeutiques non médicamenteuses : musicothérapie, art thérapie, arts manuels, aromathérapie, massages, zoothérapie, poupées thérapeutiques et même récemment Paro, le robot thérapeutique, sans oublier les ateliers de préparation de repas ou les activités récréatives.
« Nous observons beaucoup les gens. Si on voit qu’une personne manifeste de l’anxiété vespérale, déambule beaucoup ou fait des fugues, nous allons lui proposer une activité thérapeutique.
Le choix de cette activité dépend beaucoup de l’histoire de la personne. Par exemple, si elle a fait de la musique, on lui proposera de la musique ou une activité artistique. Si elle a eu des animaux, on lui présentera des animaux de compagnie. On essaie. On teste. Si elle n’a pas d’intérêt ou si elle devient plus nerveuse, on change d’activité. On n’insiste jamais. »
« Si une femme a perdu des enfants, ou si elle a eu recours à l’avortement, la poupée thérapeutique peut être intéressante. Pour une personne ayant besoin de contacts, on essayera le massage, voire le duvet sensoriel ou l’aromathérapie. Mais encore une fois, le but, avec ces thérapies, est de calmer l’anxiété de la personne. »
« Par contre, pour permettre d’exploiter les possibilités créatives de la personne et l’aider à exprimer ses émotions, l’art et la musique sont essentiels. Chez nous, tous les matériaux sont utilisés : peinture, dessin, poterie, sculpture… Il y a alors un fond sonore très doux qui leur permet de se reposer. Les résidents se retrouvent dans la même salle que ceux qui font de la musique, une salle lumineuse et douce. Et là aussi, nous leur proposons d’utiliser toutes sortes d’instruments, tels les percussions, la guitare ou des tambours. »
« Nous avons commencé à utiliser Paro, le robot-phoque thérapeutique. Les premières semaines sont encourageantes. Les aides-soignantes qui voient un résident agité ont tendance à lui apporter Paro. Ça ne marche pas toujours, mais certains résidents aiment vraiment et se mettent à sourire quand ils voient Paro. Il n’a pas les inconvénients des animaux qui peuvent griffer ou bousculer. Et il a un réel effet calmant. »
Le rôle et la formation des aides-soignantes
Pour l’art thérapie et la musicothérapie, l’EMS Val Fleuri fait appel à des professionnels extérieurs. Quand la spécialiste clinique voit une nouvelle thérapie, elle va l’essayer. Si elle s’avère intéressante, elle se forme à son utilisation ou fait former une ou plusieurs aides-soignantes à cette thérapie.
Selon Marie-Christine Bereziat, l’utilisation d’une thérapie dépend beaucoup de l’intérêt que les aides-soignantes y portent. Il faut qu’elles l’acceptent, qu’elles y soient formées et aient envie de l’utiliser. Autrement, elles auront tendance à ne pas la proposer.
Construire un environnement affectif par l’intergénérationnel
70% des personnes malades d’Alzheimer vivent à domicile. Les aidants, principalement familiaux, se retrouvent en première ligne. Ils n’ont pas accès facilement aux thérapies utilisées dans des établissements tels que l’EMS Val Fleuri. A eux de construire un environnement affectif favorable permettant à la personne malade de se sentir entourée et stimulée. De fait, l’interaction avec tous les membres de la famille est importante, y compris avec les jeunes enfants.
Pour une personne malade, pouvoir jardiner avec ses petits-enfants, faire un dessin et le colorier ensemble, partager de la musique, raconter des histoires de la famille avant que la mémoire ne se délite plus avant, jouer avec le chien des enfants, toutes ces activités, valorisantes, lui permettent d’être stimulée, regardée comme un membre vivant de la famille et de maintenir une estime de soi.
Comme le dit Martine Dorange, psychosociologue à la Fondation nationale de gérontologie : « Pour maintenir un lien à soi-même correct, nous avons besoin du lien aux autres. Les « vieux » ne sont pas différents de nous, ils ont besoin d’être regardés, d’échanger, de s’exprimer. La capacité des enfants à maintenir les liens au-delà des normes et des codes sociaux est une vraie richesse qui vient atténuer la marginalisation des personnes malades. »
Pour que les jeunes et les moins jeunes se retrouvent avec plaisir, il faut que l’activité apporte quelque chose à chacun. Pour la personne Alzheimer, ce peut être de raconter ses souvenirs d’enfance, pour les enfants c’est de montrer leur savoir-faire ou d’apprendre l’histoire autrement. Après une période d’étonnement l’un vis-à-vis de l’autre, s’établit souvent une grande connivence, voire un sentiment de protection de la part des enfants.
C’est en partant de cette idée que deux enseignantes de cours moyen d’une école de la région d’Auxerre ont monté en 2011 un projet intergénérationnel au long cours sur le thème de la vieillesse et de la maladie d’Alzheimer en impliquant les résidents de l’Ehpad « Mémoires de Bourgogne » et l’Association France Alzheimer Yonne. Des débats ont eu lieu en classe, puis les enfants ont eu trois rencontres avec les résidents de l’Ehpad. Rencontres qui ont été très riches pour les enfants et les résidents. Rencontres qui ont été depuis dupliquées dans d’autres villes et régions.
Cristelle Ghekiere