Dans son essai paru en début d’année, le médecin généraliste et gériatre hospitalier Alain Jean jette un pavé dans la mare : et si le diagnostic Alzheimer était, plus qu’une réalité, surtout « bien commode » pour éviter d’affronter notre vieillissement inexorable ? Une réflexion polémique sur la peur du vieillissement et la stigmatisation des symptômes de la vieillesse.
Alain Jean ne conteste pas qu’il y a aujourd’hui de plus en plus de personnes qui souffrent de pertes de mémoire et de symptômes de démence, et que cela engendre beaucoup de souffrances pour ces personnes et leur entourage. Ce qu’il interroge, c’est le diagnostic. Il consacre la première partie de l’ouvrage à montrer comment les signes biologiques du diagnostic sont peu probants, certaines personnes pouvant vivre avec de nombreuses lésions dites révélatrices de la maladie sans pour autant en avoir les symptômes. Et si la maladie d’Alzheimer n’existait pas ?
« S’agit-il d’une « maladie » psychiatrique, neurologique, ou bien encore autre chose très spécifique au vieillard et au vieillissement ? Et qui aurait à voir avec les bouleversements psychiques qui interviennent dans la tête des vieillards à l’approche inéluctable de la fin de l’existence » ?, s’interroge-t-il.
Le diagnostic serait donc là avant tout pour mettre une étiquette sur les malades. Cela a un avantage réel : il faut nommer pour rendre visible, et rendre visible pour mobiliser de l’argent et des moyens. Mais le problème, selon Alain Jean, c’est de trop limiter la réponse au diagnostic à une prescription de médicaments, qu’on sait peu efficaces. Il vaudrait mieux dit-il, se pencher sur la personne, sur la façon dont, malgré la maladie, on peut la maintenir dans le champ social, s’intéresser à ses capacités persistantes qui sont nombreuses plutôt qu’à être dans l’évaluation systématique et régulière de ses défaillances : « Souvent, la prise en charge se limite à l’évaluation (…) Qu’est-ce qui est le plus utile ? Un diagnostic et un médicament, ou de la compassion et de l’humanité » ?
« Etre vieux, c’est ce qui fait obstacle à l’immortalité »
Cette façon d’envisager la maladie comme une étiquette empêcherait d’écouter et accompagner la personne, et de poser sur elle un regard Care. Alain Jean y voit un symptôme du refus de notre société d’accepter la vieillesse comme une étape de la vie nécessaire et digne d’être vécue. En résumé, c’est notre refus de la mort, qui se traduit par toutes les supposées avancées scientifiques qui nous promettent la jeunesse éternelle, qui finirait par entraîner le rejet hors de la société de tous les vieux qui pourraient nous en faire deviner l’inexorabilité.
Ainsi, même le « bien-veillir » peut être à double tranchant : car oui, il y a des choses qu’on peut faire pour bien vieillir, à condition d’en avoir envie. Mais si ces choses deviennent une prescription médicale, qui, à la faveur de la perte cognitive, s’impose à la personne malgré elle, à quoi serviront-elles ? A prolonger un peu plus « une vie sans vie » ?
Ecouter les ressentis des plus vieux
Alain Jean tente enfin de nous faire partager quel peut être le ressenti des vieillards face au rejet dont ils sont l’objet. Ces deux témoignages parmi d’autres, sont édifiants : « J’aime bien le chien, lui au moins, il ne se détourne pas quand il me voit », «Une autre chose qui m’affole, c’est que personne ne veut vraiment parler avec moi ». Quand ils ne comprennent plus où ils sont, qui ils sont, qui sont les personnes en face d’eux, quand leur estime de soi s’effondre, et quand le regard de tous les désigne comme des « hors la vie », peut-être préfèrent-ils alors s’emmurer dans le silence et le repli sur soi ?
Alors bien sûr, il est nécessaire que la société se mobilise pour les malades dits Alzheimer, et de poursuivre la recherche médicale, mais ce n’est qu’un des aspects de ce qui pourrait aider les personnes atteintes de troubles. Plus que la contestation en tant que tel d’un diagnostic qui a le mérite de porter l’attention sur la population touchée, ce qui est à relever dans ce livre, c’est qu’il nous encourage à réfléchir à la nécessité de ne plus refuser la mort. Il porte l’attention sur la nécessité de nous adapter aux personnes, de reconnaître que malgré la vieillesse, elles ont une vie qui mérite d’être reconnue, qu’on doit les écouter et les entourer. Changer de regard sur la vieillesse et la maladie, pour rendre notre société plus humaine, et notre futur vieillissement plus doux.
Sandrine GOLDSCHMIDT
La vieillesse n’est pas une maladie.
« Alzheimer, un diagnostic bien commode »,
Alain JEAN,
243p,
Editions Albin Michel