Grenoble est une ville où le pôle universitaire et médical est très orienté « nouvelles technologies ». Pôles de recherche, Association Tasda, master gérontechnologies, autant d’expérimentations autour de la « Silver economie » qui fleurissent dans la capitale de l’Isère. Parmi elles, le « living lab » de Véronique Aubergé, que nous avons visité, expérimente une « robotique en toute conscience ».
Véronique Aubergé du LIG Lab de l’université de Grenoble, linguiste de formation, développe actuellement un mini-robot minimaliste destiné à aider les personnes âgées en situation d’isolement, en travaillant sur la « glu de communication », ces petits bruits et sons qui rassurent et semblent familiers au ton de la voix. Elle parie sur la co-construction et l’expérimentation pas à pas plutôt que sur le robot humanoïde, même si c’est moins spectaculaire.
Le petit robot qu’elle développe, « Emoz », contrairement à Nao ou Kompaï, certains de ses concurrents, n’est pas très futuriste. Il est capable tout au plus de proférer quelques sons et mots, et d’effectuer quelques tâches sur commande simple de personnes âgées. Dans le living lab de Grenoble, Emoz est piloté par une équipe de scientifiques pendant qu’une personne âgée, choisie parce qu’elle souffre d’isolement mais pas de troubles cognitifs, est « mise en situation » avec lui. Pendant ce temps, son aide à domicile est à l’extérieur et participe à l’observation de l’expérience. La présence du robot lui permet de se sentir en confiance. Par exemple, raconte Véronique Aubergé, une vieille dame peu aimable et très renfermée avec les personnes qui venaient lui rendre visite, ses aides à domicile, s’est révélée plus ouverte après avoir passé trois heures avec Emoz. Ainsi, constate la scientifique, la présence du robot semble pouvoir mieux la préparer à l’accueil des professionnelles qui viennent lui rendre visite.
La co-construction au cœur de la méthode scientifique
La clé de la recherche menée par Véronique Aubergé et son équipe, c’est la « co-construction ». Pour la scientifique, il faut à tout prix éviter « que la science ne se prenne pour Dieu », en lançant des robots de plus en plus performants, mais dont l’effet sur les personnes en fragilité qu’ils sont censés aider n’est pas pour l’instant connu. Selon elle « on ne sait pas quelles conséquences cela peut avoir de faire adopter à un robot un rôle humain, et on ne doit pas prendre le risque de provoquer des choses dangereuses ». Au contraire, en allant à petits pas, « on pose une hypothèse et on la vérifie. On observe quel effet elle a. On expérimente dans un environnement vrai : on teste quelque chose qui a une tâche spécifique, dédiée, avec des vrais gens dans la vraie vie, et on le fait en co-construction. On fabrique le robot avec le personnel paramédical, encadrant, avec les gens qui vont l’utiliser et dans le contexte où ils vont l’utiliser ». Elle estime que c’est la clé pour arriver à fabriquer des robots « en toute conscience ».
Partir des besoins des usagers, c’est une des clés de l’avenir des gérontechnologies, et une garantie qu’elles pourront être utilisées dans un cadre sécurisé. Ainsi, à Grenoble, Véronique Aubergé n’est pas la seule à s’intéresser à l’éthique des nouvelles technologies au service de l’aide aux personnes âgées. Vincent Rialle, le Président de la SFTAG (Société française des technologies pour l’autonomie et de gérontechnologie), responsable d’un autre « living lab », croit à l’avenir du robot, mais recommande également la prudence : pour cela, les deux scientifiques ont décidé de mettre en place un comité pour promouvoir une éthique de la robotique, en montrer les intérêts thérapeutiques tout en précisant bien le cadre de leur utilisation.
Tasda : adapter les objets connectés aux besoins Tasda est une association qui intervient dans l’Isère et sur la région Rhône-Alpes pour faire le lien entre les acteurs de l’aide à domicile et les fabricants de nouvelles technologies destinées à l’adaptation de la société au vieillissement. Elle développe une expertise qui a pour but de mettre en phase les innovations avec les besoins réels des personnes qui avancent en âge. La mission de Tasda est de réfléchir aux usages des nouvelles technologies pour la santé à domicile, centrée sur les plus fragiles. L’enjeu est d’avoir une offre coordonnée et de décloisonner le soin et l’aide à la personne. « Concrètement, explique Véronique Chirié sa directrice, nous cherchons à sensibiliser les professionnels, et nous les encourageons à ne pas avoir peur de la technologie, en leur expliquant qu’ elle ne va pas remplacer l’aide humaine, mais qu’il faut trouver la bonne articulation entre les deux ». Ainsi, Tasda présente aux professionnels tous les outils issus des nouvelles technologies, dans un esprit de co-construction : « Il faut avoir l’humilité de dire si ça marche ou pas. Il faut être honnête ». Téléassistance, capteurs, bracelets de géolocalisation sont les types d’objets déjà existants sur le marché qui sont testés. Constat : ils sont encore difficiles à porter, et peu entrés dans les habitudes. Il faut surtout veiller à ne pas préconiser un objet sans être sûr qu’il sera bien utilisé, et qu’il est adapté aux besoins de l’individu. La directrice de Tasda estime donc que le travail d’évaluation et de sensibilisation est crucial pour que les objets puissent devenir utiles, et remplir leur fonction de maintien de l’autonomie. Pour cela, il faut construire un référentiel commun d’évaluation, et ne pas laisser les personnes seules avec le choix de l’objet. |
Sandrine Goldschmidt