Hors de question de quitter ses amis, ses animaux, ses habitudes et tout ce qu’on a patiemment construit et étiqueté « chez moi ». Les personnes âgées devenues dépendantes se rebiffent grâce à leur nouvelle et sulfureuse alliée : la e-santé. Voici quelques illustrations pour mieux saisir l’ampleur du phénomène.
Ce n’est finalement pas la maison connectée qui déclenche les passions en cette année 2015, mais la e-santé, ou santé connectée. Le potentiel gigantesque de ce marché inspire et inquiète. Rien que sur le segment du mobile, son chiffre d’affaires pourrait représenter 26 milliards de dollars à l’horizon 2017 et concerner près de 1,7 milliard d’utilisateurs (Mobile Health Market 2013-2017, Research2Guidance). Sur celui des objets connectés, c’est encore plus considérable : le McKinsey Global Institute l’estime entre 900 et 2 000 milliards de dollars en 2025.
D’un côté des dollars sonnants et trébuchants en pleine sinistrose économique ; de l’autre des économies phénoménales dans une période de diète de la dépense publique (amélioration de la prévention, détection précoce de pathologies, réduction des coûts d’infrastructure liée à la dépendance, etc.). Rien d’étonnant à ce que la e-santé ait la cote !
Mais concrètement, comment peut-elle aider les personnes vulnérables à rester chez elles plus longtemps ?
Encadrer la prise d’un traitement
« Résoudre le problème de la non-observance thérapeutique serait plus efficace que l’avènement de n’importe quel progrès médical » Organisation Mondiale de la Santé.
Selon Caroline Blochet, la fondatrice de Medissimo, une startup française qui commercialise des piluliers technologiques, les erreurs ou omissions dans la prise d’un traitement sont directement responsables de la mort de 15 000 personnes chaque année en France. Pour enrayer ce funeste phénomène, la société a lancé deux produits : Imedipac et Imedicup.
Truffé de capteurs, le pilulier intelligent Imedipac peut détecter quelle case du pilulier a été vidée ; un éclairage LED indique au patient quel compartiment percer, etc. Il est même doté d’un système de mise à jour des fuseaux horaires, restant ainsi efficace en cas de voyage à l’étranger. Enfin, reliés à une application mobile, les proches ou une équipe médicale peuvent suivre la bonne prise du traitement à distance.
Démonstration de l’Imedipac
Version française – 2’09 from Medissimo.fr on Vimeo.
Le boîtier connecté Imedicup, destiné aux personnes malvoyantes, est équipé d’une caméra scannant les QR Codes imprimés sur les cases du pilulier. Il vibre et émet un signal sonore lorsqu’il passe sur la bonne case et permet un suivi de l’observance thérapeutique à distance.
Démonstration de l’Imedicup
Version anglaise – 2’35 from Medissimo.fr on Vimeo.
L’arrivée des pilules connectées (smart pills)
La société française Bodycap, de son côté, a lancé en 2014 e-Ceslius, une capsule qui, une fois ingérée, prend la température du patient et la transmet à l’équipe médicale. Il est alors possible de contrôler à distance l’état de santé d’une personne. Les utilisations futures de cette technologie comestible laissent rêveur : monitoring des signes vitaux, détection automatique de l’ingestion de médicaments incompatibles entre eux, ou non tolérés par le patient…
Avec un tel dispositif, la communauté scientifique serait en mesure d’avoir accès à un volume de données en temps réel tout simplement inédit qui donnerait lieu sans aucun doute à des découvertes médicales majeures.
Grand-maman, le facteur et l’iPad
Grand-maman étant tombée
Tout l’été,
Se trouva tout à coup pourvue,
D’une tablette tout en alu,
Pleine d’applis et de données.
Mais ne sachant pas l’allumer
Elle fit quérir le facteur…
Au Japon, où les plus de 65 ans vont augmenter de 25 à 40% dans les 40 années à venir, l’enjeu du maintien à domicile est devenu une question éminemment économique. Apple, IBM et le groupe Japan Post ont alors décidé de s’associer afin de distribuer aux séniors des iPad sur lesquels sont installées des applications d’accessibilité aux malentendants et aux malvoyants, mais aussi de communication à distance, de suivi de traitement, de coaching santé, etc. Le réseau des facteurs assurera, en outre, une visite régulière au domicile des personnes équipées, les aidera à utiliser la tablette, et enverra des nouvelles à leurs proches. Ce programme, alliant outils technologiques et relations humaines, vise à atteindre ainsi 4 à 5 millions de Japonais d’ici 2020.
En France, la Banque Postale a lancé un service similaire, inclus dans une offre d’assurance dépendance : « Cette prestation devrait être proposée dans le cadre d’un bouquet de services, qui inclurait par exemple de la télé-assistance, mais aussi la préparation de repas, des heures de ménage… Nous sommes en discussion avec différents partenaires », précise Jack Azoulay, directeur des services facteurs à La Poste.
La face obscure de la e-santé
La e-santé pose cependant l’inextricable problème de la confidentialité des données médicales, comme l’explique ce récent rapport de la CNIL : Le Corps, nouvel objet connecté. Néanmoins, se défend Caroline Blochet de Medissimo, « il existe un cadre légal français très strict en matière de transfert des données des patients. Nous avons donc dû faire appel à une technologie GPRS et passer par les réseaux de téléphonie. Pour le stockage des données, nous avons fait appel à un des hébergeurs agréés par le gouvernement ».
Autre ombre au tableau, si ce suivi médical à distance redonne de l’autonomie aux personnes âgées et leur évite l’EHPAD, il les soumet à une surveillance de tous les instants. De quoi nourrir la vision sombre des technocritiques…
Usbek & Rica